Mes bien chers frères, mes bien chères sœurs, nous voici réunis aujourd’hui pour notre énième session de restauration intérieure, selon la méthode qui a ému le Canada tout entier, la Somalie et la Floride, et a fait des émules jusqu’au Kurdistan. Délivrons donc du péché ces bourgades vicieuses qui n’ont pas encore reçues le message du Christ. Et puis, puisque c’est toujours nécessaire : délivrons-nous du mal.
Comme tu le sais, cher frère, chère sœur, après avoir dérobé un œuf faute de pouvoir dérober un bœuf et après m’être trouvé des excuses lamentables pour mon forfait, un péché capital, je me suis mis à ce nouveau loisir intensif qui a précipité ma perte : la peinture sur œuf, un subterfuge diabolique pour couvrir mon nouveau vice.
Comme cela ne suffisait pas, le diable au corps, j’ai emprunté les robes à fleurs de ma grand-mère Philomène et, par quelques coups de ciseaux habiles et meurtriers, j’ai transformé ces nippes horribles en minijupes pour aller à la disco. J’ai enfourché à son insu le solex de Marcel, le voisin borgne, évidemment emprunté sans sa permission (le Solex, pas Marcel). Oui, tu m’entends, cher frère, chère sœur, j’ai chevauché ces rutilantes machines du diable. Brisant les lois de la gravité, j’ai dévalé la campagne avec, pour rejoindre ce temple du mal et du péché qu’est la civilisation !
Là-bas, dans un night-club, une véritable succursale des enfers – comme j’ai honte à présent – j’ai dansé, dansé, jusqu’à la transe la plus extatique, j’ai ondulé comme envoûtée sur des musiques nocives. C’est dire : le diable était en moi, car j’étais frémissante et sauvage, sous les stroboscopes. J’imaginais, à l’aide de champignons souillés de miction, des créatures sordides qui frétillaient sous ma caresse, me transperçaient avec une rage d’édentés !
C’est alors que, châtiment divin, j’ai écopé de MST à savourer entre amis comme des amuse-bouches. Je fus conviée, alors, ainsi intronisé aux vices les plus dégoûtants de l’humanité, à des parties dansantes allongées dans des atmosphères très tamisées qui sentaient le stupre : il m’importait peu, alors, que le diable me guettât, avec sa queue fourchue. J’étais si rebelle et déterminée dans ma propre déchéance que je risquais jusqu’à la mort, en embrassant jusqu’à la joue des sodomites que désormais je fréquentais !
Connectée au monde des esprits, plus tangible qu’Internet et ses splendeurs virtuelles agaçantes, j’improvisais, dans la grange des parents, des messes noires saisissantes, où je sacrifiais des canetons boiteux, les veaux les moins malades, puis mon propre enfant, avorté par mes soins, à l’aiguille à tricoter, méthode du temps jadis que pratiquaient les bonnes sœurs les moins orthodoxes : je ne me souvenais plus de qui était le père, aussi ne pouvais-je l’épouser, pour en avoir d’autres de la même couleur.
Je conçus de ces nombreux méfaits une grande honte, et je me suis bien repentie, depuis : j’ai croisé Dieu derrière chaque prêtre, parfois caché sous leur soutane. Ces messagers du Christ m’ont absoute, force de confessions, m’ont dissoute dans l’eau bénite jusqu’à ce que jaillisse ma pureté révélée. J’en ai gobé, des hosties, pour me laver des sornettes dont j’étais victime, de ces mythologies inventées par mes soins, les jours d’ennui où il ne me venait pas à l’idée de prier et d’agiter mon chapelet : « cette créature à l’image de Dieu, on la croyait perdue, clamaient mon oncle impotent et ma tante bancale dans la rumeur des marchés. Et la voici revenue dans le droit chemin. Alors, marchez droit et suivez-la ! »
Nicolette Gayrero dalla Rochedor
Photographie : Un blasphème (encore un!) de Benoît-Claude François, créature Dunaire notoire.
Texte avorté le 17 janvier 2012
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :
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