C’était en juin, le mois de tous les carnavals. Mon mari – qui n’est désormais plus mon mari – s’est absenté un samedi après-midi pour défiler avec son ami proche, un ami peut-être un peu trop proche, connu et reconnu pour son inversion. La gay pride, vous connaissez ? Il m’a dit que c’était un acte politique que d’y défiler, alors, comme nous étions de gauche, j’ai accepté qu’il ne se défile pas. Ce fut, hélas, le début de la toute fin.
Vous savez, les hommes, on peut toujours avoir des soupçons avec eux, même quand ils vont pécher, surtout quand ils vous informent qu’ils vont pécher : cela ressemble à un prétexte que d’aller taquiner le goujon, un prétexte pour rencontrer une maîtresse dans un hôtel deux étoiles excentré. Et puis, l’absence d’une autre femme n’est plus salutaire de nos jours : les amitiés viriles cachent souvent des amourettes secrètes qui finissent tôt ou tard par éclater et briser les ménages. Les hommes sont des lâches, ils ne s’avouent sodomite qu’une fois bien installé dans la vie. Qu’est-ce qui me fait dire que mon ex-mari faisait partie de cette fratrie incestueuse ?
Je suis convaincue, voyez-vous, qu’une pénétration ne ment jamais, tout comme l’absence totale de ce rituel, voire même, nous concernant, l’absence d’émulsion sur un vagin : la sécheresse vaginale, si elle n’est pas diagnostiquée comme une défaillance, témoigne qu’une femme, si elle consent au rapport sexuel sans en avoir envie, n’est rien d’autre qu’un robot ménager à deux vitesses.
Bref, Jules est rentré tard, cette nuit-là, cette nuit où tout a commencé. Je n’ai pas senti l’odeur d’une femme sur lui, mais une virilité nouvelle, puissante, les ferments lactés d’une odeur de vestiaire mais c’est le lendemain seulement que j’ai constaté le plus grand changement : Jules avait perdu ses poils dans une gay pride ! C’est un torse glabre que je découvrais, un torse d’adolescent, de fillette encore vierge de toute trace de puberté ! Mon homme avait disparu !
Horrifiée par l’éradication monumentale de cette pilosité un peu trop dense, une disparition que j’avais souvent souhaitée et à laquelle j’avais sacrifié mes goûts en matière d’homme, je soupçonnais là un bizutage abscons, basé sur le rite du jeu de la biscotte. Alors, j’imaginais Jules folâtrer avec d’autres hommes, construisais des scènes pornographiques qui, sans sa présence, auraient pu m’émoustiller. Pour mieux me figurer la réalité, j’ai commencé à consulter des pornos gays, à répertorier soigneusement l’éventail de leurs pratiques salaces, avec cette envie de comprendre ce nouveau mode de vie que je lui présumais. Il ne m’a fallu qu’une dizaine de vidéos pour comprendre qu’il avait totalement perdu la raison !
J’avais beau l’interroger sur ses nouvelles amours, il s’acharnait à me faire croire qu’elles n’existaient pas, qu’il n’y avait pas d’homme dans sa vie, que cette idée le dégoûtait plus encore que les huîtres, qu’il aimait uniquement les femmes, et moi plus que toutes les autres et cependant, il ne me touchait plus. Il semblait avoir renoncé aux bienfaits des devoirs conjugaux.
Quant à son épilation miraculeuse, seule preuve tangible de sa déviation, il m’a avoué qu’il s’était rasé pour le besoin d’un costume, celui de Peter Pan, un éternel jeune entouré d’une fée collante : on ne fait pas plus gay ! J’ai eu beau l’interroger cinquante fois à ce sujet, sa version ne différait pas, à la virgule près ! Je persiste à croire qu’il avait enlevé son costume d’homme, ce 14 juin, pour vivre une nouvelle vie, seulement, c’est avec une femme qu’il s’en est allé, l’année suivante. J’ai tout d’abord cru qu’il s’agissait d’une transsexuelle puisqu’il semble que c’est un choix bien commode pour les hommes planqués mais le ventre de cette femme est capable d’enfanter et ils attendent leur premier enfant ! Jules – qui n’a toujours pas retrouvé sa pilosité – m’a quittée pour une femme avec laquelle il envisage de fonder une famille : est-ce donc concevable ?
Texte pondu le 30 mai 2012
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :
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On est en plein dans le drame, en effet. J’ai bien aimé la « voix » de la femme qui découvre la vie secrète de sa moitié, son côté dépassé, halluciné. Bienvenue madame, au bonheur des hommes.