Tectonique des Flaques, ou la Mort des Gay Prides
L’adipeuse gay pride filait par les rues, débonnaire, menée par sa fanfare hystérique de cris porcins, un débordement congénital de gras, un feu d’artifice de couleurs qu’éclairait un soleil violent. Des envolées lyriques de sperme, échappées de canons dantesques, frappaient les visages constipés par les semblants d’une revendication fantôme. Des apollons aux corps huilés menaçaient d’exploser sur des tracteurs technoïdes, le sexe recroquevillé dans de petits slips en lycra noirs, de ceux qui donnent aux membres amoureux cette odeur de gambas à la mayonnaise. Ces éphèbes hormonés balançaient sourires et prospectus à la face d’aguichés qui se crispaient pour les mieux regarder, quelques minutes encore – ou bien quelques heures, émergence de désirs dans le décor.
Et cependant, la marmaille enchantée défilait, encore et toujours, vaillante assurément, comme on va vers la vie : un 14 juillet de la tolérance aux allures d’Halloween. J’avançais parmi eux, au pas, cadence millimétrée, aux côtés de quelques chimères bancales, vissées sur des chaussures invraisemblables, maquillées à outrance pour défier tout caprice du temps, nonobstant les caresses synthétiques d’implacables perruques. J’avançais parmi eux, les humbles, quelques couples, bien trop rares, quelques femmes, bien peu d’hommes, monstrueux de normalité, main dans la main, totalement démédiatisés par l’époque, si fades, sans intérêt pour la ménagère, des sous citoyens, bons, seulement, à payer des impôts : déjà des fantômes, vestiges un peu ternes d’un combat perdu d’avance, des créatures vouées au charme désuet des polaroids, en somme : une vision si peu bandante de l’homosexualité qu’elle en est affligeante.
J’avançais parmi eux, encerclés à foison par ces couples hétérosexuels qui venaient contredire cette vision trop parfaite d’une société qui menace d’éclater, oppressé par des lycéens en surnombre qui sautillaient comme des puces sur cette musique qui leur ressemble, des embryons de citoyens qui défilaient là, à défaut d’une techno parade rutilante qui leur soit dédiée. Soit ! Quel orgueil peut-on avoir, après tout, à être hétérosexuel ? Qui sont ces jeunes gens qui partagent notre hybris grotesque ? Des sympathisants ? Des anabolisants quadrupèdes ? Ou bien sont-ils ceux qui nous voleront un jour ce concept de défilé haut en couleur dévié de son sens premier ?
Les hétérosexuels, voyez-vous, ne sont que des voleurs : ils s’introduisent dans nos lieux sous des prétextes sibyllins, tels que la différence, la sympathie, la tolérance, la curiosité, l’amusement, l’ennui (…) pour nous envahir tout à fait et transformer ces mêmes lieux qui nous sont dédiés en succursales des leurs. Ils réécrivent notre histoire en marche et nous quittons, fatalement, le navire, un navire en train de sombrer : quel trépident naufrage ! Certains lieux ferment, la plupart se transforment, avant de disparaître : perte fulgurante des identités. Plus le temps passe et plus je fais la gay pride sur le trottoir, comme une pute, un poète, un photographe : je la regarde défiler sans moi et je me dis qu’au fond, déjà, je ne suis plus des leurs. Je m’imagine terroriste, aussi, fomentant le vœu de les faire disparaître. Il n’appartient qu’à nous de réguler la démographie.
Texte vomi le 18 juin 2012.
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :
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