Nos Morts
Aujourd’hui beau papa s’est éteint. Même si mon chemin n’a pas croisé le sien, puisqu’homonyme était resté tout le temps planqué dans son placard non confortable, mes pensées vont vers lui et vers son fils, pour lequel je ressens une infinie tristesse.
Quand bien même les cancers nous préparent par leurs évolutions insidieuses, ces retournements de situations perpétuels et cruels, ces surprises de bons augures qui laissent supposer des guérisons miraculeuses et invitent contre toute attente des morts saugrenues et sans concession aucune, le décès arrive toujours trop tôt et avec lui, toutes ces larmes, tout ce pathos, toutes ces pensées qui se perdent en toute heure, accrochent des souvenirs comme exhumés des limbes du passé – bourreaux lumineux qui vous plongent dans l’abîme. La vie sans eux ne sera plus jamais la même. Ce fantôme, dessiné dans l’ombre des souvenirs, imprimé dans le fil incertain des jours, nous accompagne à jamais, lors même que la vie continue car, au fond, que peut-elle faire d’autre ?
L’année passée, à la même époque, à un jour près, homonyme avait perdu sa mère d’une crise cardiaque fulgurante – toutes les crises cardiaques le sont, quoi qu’il en soit, frappant souvent comme un aveugle sur un champ de bataille. Pas une trace dans ce journal, ni même l’ombre d’une évocation. Je me souviens avoir été froid, lointain, distant : cette perte immense évoquait la mienne, elle aurait pu être douloureuse. Avec une fermeté sans doute un peu cruelle et non sans honte, je ne me suis pas autorisé cette piqûre de rappel, quitte à passer pour insensible. Ma nature est telle que je montre peu mes sentiments, dissimule parfaitement mes peurs et mes angoisses qui, consignés dans mon corps, finissent toujours par investir l’écriture dans une équivalence plus saine mais plus informelle qu’une thérapie.
Alors oui, je l’avais accompagné dans les Pyrénées mais le cœur n’y était pas, Je n’étais qu’une présence physique, non émotionnelle, une sorte de touriste qui regardait la montagne, ne pensais pas à la morte fraîchement enterrée, malgré la tristesse, parce que cette morte, une belle maman avec laquelle je me serais sans doute bien entendue, ressuscitait ma mère qu’il me plairait de rejoindre et qui m’appelle parfois dans le sein capiteux des rêves.
Le jour de sa mort, malgré la douleur et l’incompréhension, je suis allé travailler comme si de rien n’était, totalement perdu, comme un enfant un peu somnambule qui, échappé de sa chambre, s’en va dehors pour une longue promenade et, en bordure du réveil, ne retrouve plus sa maison. Cette maison, je ne l’ai jamais retrouvé même si, depuis plusieurs mois, elle semble apparaître dans le lointain, floue mais lumineuse dans un paysage oppressant.
C’est étrange de constater que nos parents sont morts de la même chose : un cancer pour ma mère et son père, une crise cardiaque pour sa mère et mon père. Les miens (quoique je réfute cette idée pour mon père qui n’était pas une belle personne) sont morts beaucoup plus jeunes : suis-je le prochain sur la liste ?
J’aimerais maintenant connaître l’Agenda de la mort, poser mes yeux dessus, pour savoir quand il partira, quand je partirais, quand nous partirons, à défaut de connaître cette destination dont je me fais une idée de plus en plus précise et qui ne m’effraie pas le moins du monde. Ce qui échappe à l’homme est terrible et ce qui est terrible, fatal, finit toujours par le rattraper : nul besoin de fuir, il faut (se) réaliser.
310714.1
Oh, les garçons qui restent dans le placard. Cela nous fait un autre point commun, Bro’ ;). C’est très curieux, ce schéma de morts croisé. On peut se demander si le destin ne se joue pas de vous (et de nous tous).
En te lisant, je me rappelle que tu as raison : la vie ne sert, entre autre, qu’à apprivoiser l’idée qu’un jour on va la quitter.