Lettre au Père Noël
J’ai été sage cette année, sage comme une image. J’ai lu la Bible racontée aux enfants plusieurs fois, j’ai suivi le petit Jésus même après sa mort et je n’ai pas tué mon père, cette ordure abjecte. Je désirais l’an passé un kit de petit chimiste pour le décimer, un synthétiseur bon marché pour le rendre fou, des baskets pour m’enfuir loin de la maison : à dire vrai, je n’étais franchement pas doué pour la fugue.
J’ai été sage cette année : je n’ai pas tant utilisé mes cadeaux, j’ai beaucoup prié Dieu, en vain, de me sauver, enfin, je voulais dire : de sauver le monde. Maman m’a dit, couverte de bleus : ça ne se fait pas de prier pour soi, c’est égoïste. J’ai donc prié pour les autres, pour me faire bien voir, je l’avoue, être dans les grâces du seigneur mais tu vois, je doute désormais de son existence : silence absolu.
Père Noël, je crois en toi : ne t’ai-je pas vu, quelques années plus tôt, déposer les cadeaux au pied de notre sublime sapin, ce cache-misère d’une existence pénible ? Ne t’ai-je pas vu avec du sang sur les doigts, quelques gouttes sur ta barbe, le soir où le fils des voisins est mort, assassiné à la machette dans son petit lit en bois ? Un enfant très méchant, qui avait le diable au corps, et que tu as puni parce qu’au fond tu sais ce qui est juste.
D’aucuns prétendraient, les mauvaises langues, qu’il ne s’agissait point de sang, mais de vin. Ton papa Noël, d’après ces enfants désenchantés qui ne croient plus à la magie de Noël, n’est rien d’autre qu’un sinistre ivrogne de la pire espèce : il passe toute l’année à se goinfrer et picoler, pour se racheter une fois l’an. Mais moi, je crois en toi.
Aussi, je te demande aujourd’hui l’impossible : tuer mon père. Tu peux me livrer en kit son corps calciné, sanglant, viande cuite à point, selon ton choix, pendu, suspendu comme un saucisson, la nuque brisée sur le carrelage, électrocuté et scintillant, avec pour boa une sublime guirlande : j’ai confiance en ton sens du décorum. Ah oui, j’oubliais le principal : je t’attendrai dans ma chambre, avec un billet de 100 euros.
Ce texte me fait sourire. La chute est tellement mignone et à la fois le tout est livré dans une atmosphère viciée. J’aime ce mélange. Je crois qu’en général, j’aime cette idée des enfants déglingués. Bravo.