Billet

Les Malheurs de Miss Tofinelle

 

Morgane, une grosse vegan, se plante comme un piquet face à la supérette du coin, nonobstant l’étourdissante chaleur de l’été, et brandit une banderole comme d’autres brandissent leurs chibres bandés, à quatre heures du matin, avec la certitude d’être énorme : « êtes-vous capable de tuer ce que vous mangez ? Non, mais vous n’êtes pas moins des assassins. » Slogan percutant qui ne percute rien :

 

Les quidams passent dans l’indifférence, pensant qu’elle désire vendre quelque chose, d’autres la moquent ou invoquent une hystérie nouveau millénaire : original, mais pas très tendance. Quelques vieillards défraîchis, qui pensent que c’était mieux avant, regrettent des temps immémoriaux qu’ils n’ont pas connu : à cette époque, on brûlait les hystériques comme on allume le chauffage, avec un art consommé du bon sens.

 

De jeunes garçons qui s’ennuient dans la vie,  délaissés par la gente féminine de plus en plus garce et difficile, imaginent à son teint blanc laiteux que la créature, malgré sa surface pachydermique, a quelques carences. En gentleman nouvelle cuvée, ils s’imaginent lui offrir un don de protéines – par pur altruisme, cependant. Et qu’elle se taise concernant ses convictions primitives, qui renvoient à l’âge de pierre, du temps où l’homme était las de la cueillette : les femmes, quoi qu’il en soit, devraient toutes se taire, mais gémir la bouche pleine.

 

Deux végétariennes un peu hagarde, habituées des veggie pride,  subodorent chez elle un amour sans fin des animaux (elle doit avoir une bonne petite dizaine de chats, une tortue et un ornithorynque en peluche) mais une malnutrition un peu morbide, car elle est plus que grasse et dessert totalement la cause végétarienne, ce qu’elles ne manquent pas d’écrire sur internet, lui consacrant un billet à son sujet, dans la moiteur d’un grenier parfumé à la fraise : « action monoprix, solidaire ou solitaire ? Une obèse sensée évoque la possibilité que les carnassiers soient des meurtriers par procuration, alors que vu son poids, c’est elle qui meurtrit la planète, chaque fois qu’elle pose un étron !

 

Au lieu de promouvoir nos actions, elle nous ridiculise, en laissant supposer que notre régime alimentaire est mauvais pour la santé car il conduit à l’obésité. Ce n’est jamais qu’une créature adipeuse gavée à la tofinelle, une végétalienne, gavée à la frite, à la margarine végétale, adipeuse comme un cochon dinde ventripotent qui ne roule plus dans l’infortunée roue qui lui est allouée par la charité d’un propriétaire ennuyé, une calamité pour l’industriel besogneux qui ne peut se payer la couronne de ses rêves. »

 

Le gang anti-chiens, créé par une concierge et un voisinage harassés de piétiner à volonté des étrons canins, tristement connus pour faire disparaître un à un les canidés du quartier, ont déjà remarqué avec quel acharnement cette grosse demoiselle promeut l’amour des animaux, un amour contre nature qui plus est, et qui finira par asservir l’homme ! Les animaux, qu’on se le dise, ne sont bons pour l’homme que dans les assiettes, tranchés et savoureux. L’homme ne se trouve-t-il pas au dessus de la chaîne alimentaire ? Fort de ses convictions, le gang fomente, au terme d’une assemblée générale un peu particulière, de la faire disparaître, Elle. Dans un sac-poubelle végétal, comme on en trouve partout. Ne déshonorons pas la mort, après tout. Car la mort, c’est bio.  

 

Texte concocté sans matière grasse (avec de la matière grise) le 5 juillet 2012.
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :

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