Le Connard et la pauvre Fille
Est-ce vraiment utile de te dire que je ne t’aime plus ? Je t’ai aimée quelques secondes, c’était plutôt intense mais je ne t’aime plus : c’est ainsi ! Notre destin était scellé au moment même où j’ai quitté ton appartement : je ne me souviendrai pas de toi. Tu ne seras que bribes, poussière.
Nous nous rencontrerons dans la rue un jour peut-être, mais je ne te reconnaîtrai pas : tu seras une femme parmi tant d’autres, pas spécialement belle, usée par le quotidien. Parce que tu es de celles qui disent oui tout de suite : celles que l’on consomme, celles que l’on jette. Celle qui implore un peu d’amour dans chaque conversation, comme dans ses gémissements.
L’amour, tu le trouveras sans doute.
Tu es sur tous les sites. Avec tes doigts impatients, ton cerveau angoissé, tu tapes plus vite que ton ombre, ouvre mille fenêtres à ton navigateur, à la recherche d’un pauvre rendez-vous. Dépitée, tu vadrouilles en boîte avec tes copines. Elles sont plus moches que toi, mais cela ne t’aide pas ! Le problème ? Tu veux un môme, parce que tu as quarante ans et tu as peur de ne pas réaliser ton rêve d’enfant. Petite conne…
Tu crois que je pourrais t’aider mais qui voudrait s’embarrasser d’un chiard alors qu’il ne nous reste plus que quelques années de liberté à savourer ? Pour les hommes, tu sais, la quarantaine, c’est une seconde chance, un retour de la vingtaine, la force de l’âge.
Qui miserait sur une femme fanée, qui rend les armes de sa féminité, alors qu’il existe dans le jardin de l’amour de plus belles fleurs. Corolles ouvertes, elles rient dans l’aube soleilleuse. Elles, au moins, elles donnent de l’amour sans retenue !
Tu oublies ce qui fait la différence : elles sucent facile, les filles d’aujourd’hui, à l’heure où le porno est accessible en quelques clics. Il y a ces étudiantes de plus en plus nombreuses qui ont besoin d’argent : elles n’hésitent pas à partager quelques instants pour un bon repas, un top flambant neuf ! Avec elles, on ne se sent pas obligé de faire la conversation : elles ouvrent la bouche pour nous satisfaire. Pas de suspicions, de réprimandes.
Parfois, elles sont mineures, mais on ne pense pas à demander leur carte d’identité : quand on croque le fruit, on n’as pas besoin de savoir combien de temps il est resté sur l’arbre ! Les temps ont changé. L’éducation sexuelle comme dans les années 70, c’est fini tout ça. Plus de questions embarrassantes aux parents trop curieux ou paniqués, de moqueries… non. Elles sont libres… libres de nous satisfaire.
Alors toi, tu vois, je t’ai aimée quelques secondes : quand j’ai joui en toi. J’ai su que tout était possible et juste après, comme par magie, je t’ai oubliée et je me suis endormi sur notre histoire impossible. J’avais sans doute un peu trop bu, aussi.
***
Tu crois sérieusement que je t’aime, bouffon ?
Ce n’est pas parce que je t’ai bombardé de textos que j’en ai quelque chose à foutre de toi ! Satanés réflexes… Sache que tu m’as vraiment déçue, mais tu n’es pas le premier, loin de là !
Ils sont souvent comme toi, les mecs qu’on rencontre en boîte. Ils te chantent la sérénade pour te sauter et après, plus rien. Le silence. La lâcheté : votre marque de fabrique, à vous les hommes. Avec l’alcool, vous avez l’air tellement sincères, drôles, inventifs, si peu avares de promesses. On se dit : pourquoi pas ! Ça me débecte. Tu me débectes !
Mais dis-toi bien : si tu as attendu le slow de fin de soirée pour pécho comme vous dites, c’est qu’il y a bien un souci, tu ne crois pas ? Pauvre type, au fond, t’es à peine baisable les lumières allumées, avec tes rides sans charme, ton apparence passe-partout, tes fringues stupides, cette petite ceinture de gras que tu n’essayes même pas de dissimuler.
Enfin, je ne comprends pas… Dans notre histoire, quelque chose m’échappe. Je ne t’ai pas parlé de mes désirs : fonder une famille, avoir des enfants. Ça vous fait peur, ce genre de révélation tue-l’amour. Je le sais : on est pas connes, nous les femmes. On parle entre nous, on partage nos expériences, on ment sur nos âges. Pas le choix, c’est la société qui veut ça. La pression de toutes parts : la course du temps, la ménopause, les petites nymphettes stupides qui reculent devant rien pour piquer les maris.
Vous les hommes, vous devez sentir nos angoisses profondes, un peu comme les animaux qui reniflent la peur de leurs proies, avant de les bouffer. Des porcs déguisés en loups, voilà ce que vous êtes : tout juste bons à vous rouler dans la fange pour jouir cinq secondes. Et vous endormir comme de pauvres merdes après, dans un concert de ronflements abjects ! Oui, c’est ça, votre vraie nature !
Mais bordel, tu te croyais irrésistible, trouduc ? J’ai eu de bien meilleurs amants ! Je suis certaine que tu te vantes auprès de tes potes en racontant tes exploits minables mais regarde bien les choses en face : des caresses minables, à l’emportée, des baisers maladroits, sans la moindre sensualité, tu n’es pas capable de proposer mieux. La médiocrité, à tous les étages. Quant à la pénétration, sur l’échelle de Richter, il faudrait peut-être penser à grimper un peu, non ? Et faire durer l’escalade ! Tu fais honte à tes ancêtres : les singes !
Au fond, nous sommes un peu pareil toi et moi : destinés à rester seuls tous les deux, chacun de notre côté, parce que nous avons fait les mauvais choix, rencontrés les mauvaises personnes. La seule différence entre nous, c’est que je le sais et toi, tu ignores tout de ces futurs que tu effaces à l’encre blanche : tu n’es qu’un donneur de sperme parmi tant d’autres, tout juste bon à féconder. Je te recontacterai bientôt, qui sait ?
Ecrit le 15 janvier 2017 pour la semaine 19 du Projet Bradbury. (Avec le défi d’écrire une nouvelle plus longue que Hegel Noir, en 10 minutes chrono).
Laissez un commentaire