Billet

Le Jour du Saigneur

 

C’est dimanche. Les parents sont à l’Eglise. David lynche son petit frère, décime sa collection de lapins en peluche : un génocide placide, vu et revu par Adélaïde, la bonne, une naine victime d’obésité morbide, amusée par la douleur de cet enfant face à l’éradication sournoise de ses quelques jouets.

 

Elle aimerait tant lui faire subir de tels sévices, et plus vu l’absence d’affinité, mais ce serait indécent, non, que de séquestrer un enfant, de le torturer avec cette langueur délicieuse que l’on ressent, parfois, à déguster sur une chaise en rotin un bon rosé, sous le soleil assassin de l’été ?

 

Sans doute serait-elle renvoyée, Adélaïde, s’il lui venait à l’idée d’infliger des douleurs à cet enfant pleurnichard et inintéressant, un enfant que même ses parents ignorent : il n’était pas désiré, à l’heure où même l’avortement n’était pas même une option. Et puis, pensez-vous, la religion l’interdit. Alors, forcément, quand son aîné le torture, force d’une assiduité somme toute remarquable, le spectacle n’en est que plus réjouissant. Ce n’est que justice.

 

David, en grandissant, découvre de nouveaux jeux qu’il soumet avec une ardeur sans cesse renouvelée à son cadet. Son petit frère, plus que jamais, timide et introverti, s’improvise cobaye, pour ne pas dire victime – et s’y complet : au moins s’intéresse-t-on à lui. Avec les années, il a pris goût à cet amour particulier,  pétrie dans la haine et la domination, un amour que le lie jusque dans les chairs à son frère, son lieutenant, son Dieu, son firmament.

 

Adélaïde, vissée derrière le trou de la serrure comme une cochonne se juche à la paroi d’un glory hole, n’en ratait pas une miette, de ces cérémonies barbares qui ressemblaient de plus en plus à des jeux d’adultes, si bien qu’un Dimanche pas fait comme un autre, elle en tomba de son tabouret, les yeux révulsés. On se demandera toujours ce qu’elle pouvait bien regarder, cette bonne à rien. Mais ce fut, surtout, la fin d’une époque, le suicide d’une Liberté.

 


Texte vomi le 26 juin 2012.
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :

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