Le Grand Gueux
Sur l’écran s’allume un grand bassin comme un parfum d’enfance, en noir et blanc. Luc s’installe sur le canapé, à l’ombre d’une télécommande stoïque, mais vaincue : le Grand Bleu commence, autisme et ricanements. Dernière séance du dimanche, un relent d’adolescence envahit le tube cathodique.
Il aime à regarder, Luc, des films lancinants qu’il voit plusieurs fois pour les mieux comprendre. Il s’allonge face à cet océan qui se colore enfin, son air boudeur d’épouvanté, yeux globuleux et avachi, les pieds racornis comme des asticots brûlés par la flamme vorace d’un briquet un peu fou.
Un paquet de pop corn remplace l’amour impossible dont l’odeur fantôme imprègne encore le sofa, cuir de vache : la sueur d’un soir maudit qu’il aime ressusciter à la surface de son chibre parfumé au mascarpone, quand sa main famélique passe sous le tissu granuleux d’un short déchiré : le corps de Rosanna qui se dévoile enfin, mythe mammaire des années 80.
Quelques pleurs, au générique, sont aussi anecdotiques qu’un enfant orphelin dont on suppose qu’il grandira lui aussi dans l’Absence : les yeux sont secs, l’alcool ne facilite pas l’hydratation. Générique de fin, enfin : un monde possible se referme avec l’appel des sirènes, ces créatures qui vous emportent au loin, à jamais, si elles vous choisissent, vous. Et si elles ne vous choisissent pas, sans doute faut-il réessayer, et faire incessamment le grand plongeon vers ces catins des abysses : certains poissons auraient cette mémoire de 15 secondes qui rend tout possible, quand les femmes, elles, sont rancunières.
Et blessent les hommes :
« T’as déjà eu un aquarium ?
– Oui
« Tu étais dedans ou dehors ? »
Texte : plongeon du 2 juillet 2012.
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :
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