Le Client Mystère
Je désirais un câlin et je n’ai rien obtenu de cette femme pourtant vulgaire : c’est de la non-assistance à personne en danger. Je lui assignerais volontiers un procès. Ma retraite, hélas, ne le permet pas. Et ça se dit fille de joie ? Comme si moi, à mon âge, j’avais la force d’aller et venir dans son utérus aqueux et déformé !
Elle pourrait me consacrer un peu de temps, me prendre dans ses bras comme une mère et écouter mes suppliques : ce n’est pas parce que je n’arrive pas à jouir que ma virilité reste molle, renfrognée entre mes cuisses, que je n’ai pas un cœur qui bat, du sang qui bout. Que faire si même une prostituée ne peut pas me prendre dans ses bras et m’écouter ? Celle-ci se prétendait altruiste pourtant, dans son profil.
J’ai essayé les psys, froids et distants, obséquieux et mesquins, les tournées de bars où les barmans, de bonne volonté, ne savent plus où donner de la tête, face à une peuplade d’assoiffés. Je me suis risqué dans les salons de coiffure où chaque conversation revient inlassablement, avec la régularité d’un métronome, sur la pluie et le beau temps. Que dire des seins opulents de la coiffeuse qui menaçaient à chaque instant de s’abattre sur ma tête, moi qui pensais qu’elle était terminée, la guerre.
Je ne suis plus assez jeune pour me confier à un prêtre qui verrait en moi un enfant à sauver, à prendre sous son aile, et qui pourrait le chérir, à l’ombre de sa paroisse. Et je suis bien trop vieux pour m’asseoir sur les genoux hypertrophiés du père Noël, le temps d’une photographie stupide : il y a bien d’autres rennes à fouetter. Ma famille, je l’ai vu partir, membre après membre, comme un corps qui se désagrège. Et je suis seul à présent : que me reste-t-il, si ce n’est Dieu, la promesse d’un ailleurs dont je n’ai que faire ?
La prostituée me regarde avec étonnement : je crois qu’au fond elle a de la peine pour moi, ce désarroi immense qu’elle lit enfin en moi, dans mes yeux vitreux, sur le parchemin de ma peau flétrie. Ou bien est-elle l’une de ses nombreuses femmes qui ont essayé d’être actrices et n’ont jamais franchi le canapé poisseux des producteurs ? Elle s’approche de moi, tout doucement, se rapproche :
« C’est vous, Monsieur, le client Mystère ?
– Le client quoi ?
– Le client Mystère.
– Je ne vois pas de quoi vous voulez parler. »
Elle me soutint que si, c’était moi, le client Mystère, qu’elle en était sûre à 200%, sûre et certaine. Le client Mystère, m’avoue-t-elle enfin, est un Monsieur qui utilise les services de ces demoiselles afin de les évaluer sur un site très branché, à condition bien sûr d’avoir internet : le site StripAdvisor.
M’annonçant démasqué, histoire de bluffer un peu, qu’elle ne fut pas ma surprise de constater qu’elle resta à mes côtés le soir et au-delà. Ainsi, je pus épancher mon cœur sur le sien, lui raconter sans la moindre gène ni omettre le moindre détail, chacune de mes angoisses, chacun de mes pêchés. Je pus m’endormir en paix, comme l’enfant sous la caresse d’une mère, l’innocence retrouvée – et sans cette peur, malléable, d’être détroussé.
Texte pondu le 20 décembre 2013
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :
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