Elle cuisinait avec tendresse le lapin préféré de sa grand-mère, lovée dans son tablier parfumé au sang frais. Les grâces du printemps, un parfum de lavande, flottait par ses cheveux délicats. Le soleil assassin des beaux jours, molestant l’azur bien trop bleu, rendait délicieux ses yeux vipérins, accentuait cette subtile méchanceté dans le regard qui séduisait tant le chaland, faisait le délice des hommes attablés à sa chair princière.
C’est sans retenu qu’elle penchait son visage altier sur le fumet délicieux, en belle gorgone à la peau d’airain, imaginant la surprise de cette révélation et l’effet fomenté d’une étrange décoction : lové dans la poche de son tablier, un flacon abscons, obscure navette, dont elle fit couler avec parcimonie quelques gouttes translucides, une pluie acide sur la chair nacrée tapissant la porcelaine aimée.
Une émotion plus franche, plus sincère que jamais lui parcourut l’échine, un frisson, un orgasme plus saisissant encore que celui de la mise à mort, la première incision entre les cuisses, une hystérie plus convulsive que la violente rupture de son hymen, ce secret qu’il n’est plus possible de partager.
« J’aurais pu la faire mourir à jamais, l’abattre d’un coup de fusil, attendre patiemment sa mort, un autre cancer, plus efficace, plus fulgurant ; mais j’ai préféré, tel un vampire patient, la vider peu à peu de son essence, en lui servant de l’antigel à toutes les sauces, composant ses salades, ses sorbets préférés car, voyez-vous, je suis de celles qui frappent plusieurs fois, sans s’y dérober : la mort d’un corps, même flétri, n’est rien sans la déliquescence de l’âme et la vengeance, poison qui ronge l’essence même de la vie, et bien la vengeance est un plat qui se réchauffe… à loisir. »
Billet cuisiné le 27 mars 2012.
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :
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Après tout ce que j’ai mangé ces jours-ci, je me sens tout chose….