Conte Transversal – Grandeur et désillusion du loup Alpha
Un troglodyte sous cortisone, ermite certifié, bedaine repue, physique difficile, stagne dans sa caverne, pensant princesse – et rosbif. Quel est son petit nom : il rime avec sadique ! Au loin du monde tumultueux des assedics, il voit apparaître – ô émerveillement – sur la surface pixelisée de son écran scintillant, une toute petite annonce, de celle qui mettent l’eau à la bouche : « Princesse cherche courtisan cet été, séjour tout frais payé, résidence tout confort, payé 1500 euros.
Votre mission, si vous l’acceptez : après avoir croqué – sur papier canson – la princesse de vos rêves, vous composerez des bouquets de fleurs romantiques à souhait que vous autopsierez avec passion. C’est avec minutie que vous réaliserez des figurines haute définition en aluminium. Enfin, vous imiterez, avec l’énergie d’un cacochyme syphilitique, les célèbres Veronique et Davina. Si le cœur vous en dit, vous remplacerez le dictionnaire des symboles, les détectives privés les plus chevronnés. »
Il n’était pas question de masser la belle avec ces petits doigts boudinés, et pourtant, c’est le prix de consolation et non les préludes d’un amour éternel, la naissance fracassante d’une meute intangible : le rayonnement futur de la France ! C’est qu’on devient arrogant avec de l’huile d’argan au bout des doigts, quand on s’égare, hagard, sur la surface élastique d’un peau satinée : un fessier offert aux caresses maladroites d’un louveteau loqueteux, plus doux qu’un coussin, plus moelleux qu’un doudou : un petit loup planqué dans un sac de voyage !
Et cependant les Autres, des hommes qui ont eu l’audace – ou l’insigne malheur – de répondre à la même annonce, sont là qui lorgnent comme des mouches aux vitres immenses de la maison : un énième remake d’Amytiville. De leurs trompes immondes de muscidés, ils se sustentent, heureuses victuailles, des restes encore frais de la belle, plus savoureuses que mie de pain ou chyme de bovin : affreuse audace des plaisantins !
A la lumière éclatante du jour, se croyant loup Alpha, invincible devant l’adversité, la bête se rebiffe et sort les griffes ! La princesse est un territoire qu’il faut coloniser, qu’il faut conquérir : la princesse est Sa princesse, pronom possessif. Et par la même la future génitrice d’une meute exsangue : une descendance endogame de premier choix. Quelle morale extraire de ce conte grivois, fort scénarisé, si ce n’est encore le culte de l’Ego, sous un verni de rire gras et de carnaval, que la réalité n’est pas moins farfelue que la fiction qu’elle a elle-même engendré dans l’esprit de quelques capitalistes malsains, gavés de caviar et de cochonnaille ? La réalité est tellement plus bandante, ma bonne dame : le loup alpha se promène la queue en l’air, c’est ainsi, évidemment, qu’il attire la meute.
Texte écrit le 17 avril 2012
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :
Cynique, cinglant, mais tellement réaliste…