Billet

La Collectionneuse de Petites Annonces

 

On trouve de tout, puisqu’on trouve l’amour, dans les petites annonces ; j’en veux pour preuve ma lecture de ce matin, fort instructive, qui a fait naître en moi émois et espoirs – et quelques crises de rire intempestives. Ne m’en veuillez pas, c’est mon petit côté Tourette. La vie est si difficile et si maussade de nos jours qu’une petite dose de bonheur provoque chez moi une surcharge émotionnelle.

 

Ces annonces, je les collectionne. C’est ma nouvelle lubie : j’en avais assez de collecter les publicités pour Marabout qui, si elles sont drôles de prime abord, se ressemblent toutes à tel point qu’on se tromperait presque de rendez-vous, quand on y succombe par quelques ironies du mauvais sort : ne riez pas, ça m’est déjà arrivé (quid de l’amour perdu) mais depuis, j’ai été désenvoûtée, ou mieux : démaraboutée.

 

Aujourd’hui, j’ai sélectionné cette perle qui émaille d’une touche forcément fraîche la surface rugueuse de ces journaux sans queue ni tête qu’il me plaît de consulter : n’est-il pas utile de savoir quel temps il va faire, ou plutôt : qui est mort hier ? Trêve de digression : je me suis donnée derechef la consigne d’y répondre pour m’insérer dans le quotidien d’un être humain (trop humain ?) que j’imagine perspicace, et non dénué d’humour :

 

« Je suis grand, beau et fort, c’est juste que je ne sens pas très bon dans la bouche, le matin au réveil. Je cherche une mignonne petite femme qui aime la compagnie des fennecs à temps partiel. »

 

Serait-ce là un prince charmant un peu drolatique, avouant par une note d’humour pas si grasse son seul défaut ? Force est de constater qu’on s’accommode mieux d’une haleine fétide que d’un micropénis ou de ces sempiternels ronflements qui font de la cloison nasale des hommes un horripilant centre de gravité.

 

Mes amies, sans doute un peu jalouses de cette folle audace, m’ont prévenue aussi sec d’un potentiel danger : « mais tu es folle, ne répond pas à cette annonce. C’est déjà fait ? Surtout n’y va pas, ce serait comme si un ogre passait une annonce du style : je suis un ogre sympathique et fin gourmet, à la recherche de petits garçons dodus élevés au grain et au poulet fermier. Franchement, tu devrais prendre tes précautions. Un spray au poivre, par exemple, ne serait pas inutile surtout s’il menace de t’embrasser une fois minuit passé. Il peut très bien puer du bec tout le matin ! » Une idée pas si folle mais pas franchement réalisable : les agresseurs ne se sont jamais préoccupées de mon existence, alors j’ai vidé ma bombe à poivre dans quelques copieux petits plats qui ont toujours su faire la différence. 

 

Me voici à mon rendez-vous pour constater avec une surprise – que j’ai su camouflée – qu’il était non seulement à l’heure mais en avance. Je me suis dit qu’il devait vraiment empester dans la bouche, pour être si galant ! Seconde surprise, et non des moindres : il semblerait que ce soit un homme charmant, avec cette physionomie intelligente qui, si l’on se hasardait à comparer l’homme à une carrosserie, tiendrait de la Ferrari ou de la Maserati. Un homme moins distingué dirait de lui, s’il était du sexe faible, qu’il serait « bonne », tout simplement.

 

La discussion, tout comme les assiettes, fut absolument exquise, pour ne pas dire divine ! Je me suis dit, entre deux bouchées aériennes : l’intelligence chez lui n’est pas que physique, il a de nombreuses histoires à raconter, une situation visiblement enviable : serait-ce un mythomane ? Qu’importe, tant il est sulfureux. Le plus étrange, sans doute, est cette capacité d’écoute, cette empathie téléphonée, que l’on retrouve chez les assistantes sociales du siècle dernier, ou certains religieux qui ne s’endorment ni ne se masturbent dans le confessionnal. Cet homme, me suis-je dit, m’écoute. Il m’écoute vraiment. Et retient les informations. Il s’intéresse à moi : j’étais aux anges !

 

Mais les anges n’ont pas de sexe : quelques bouchées plus loin, sur l’onde crémeuse du dessert, je déduisis avec horreur le véritable défaut de mon interlocuteur, lequel perdait désormais de son charme à chaque mot qu’il prononçait, et cela, pas seulement parce qu’ils étaient âprement parfumés. Je l’aurais préféré mythomane, ou analphabète ! 

 

Le manque de personnel, une constante en restauration, mettait en évidence le véritable défaut de ce charlatan de la séduction : une accointance un peu trop féroce avec la boisson. C’est bien simple : les bouteilles s’alignaient sur la table, le seul serveur disponible n’ayant point la génétique de Shiva ni même une once de bon sens ou d’acuité visuelle. Bilan de cette soirée ? J’ai découvert hélas qu’un défaut reste un défaut. Et qu’une connasse, même bien attentionnée, reste une connasse. Il fallait bien cela pour éviter la douloureuse.

 

Texte rédigé le 3 mars 2013
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :

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Moi
juillet 13th, 2014 at 7:12

Ce texte est superbement écrit, comme toujours d’ailleurs.

Il nous invite à nous arrêter quelques instants pour songer au regard que nous pouvons porter sur la société, sur nous-même et sur celui des autres.

Ah ! Cette collectionneuse pourrait être le reflet de chacun(e) d’entre nous.

Un extrait de mes cogitations renvoyées par cette lecture :

La beauté intérieure et extérieure
Le paraître et le transparaître
L’attirance inconsciente
La projection
La solitude
La désocialisation
Le besoin de l’autre et des autres

Un seul mot Nicolas : Bravo

Sexy Scribe
juillet 13th, 2014 at 8:08

Texte jubilatoire qui touche à plein de thèmes et pose l’équation à deux inconnus des rencontres virtuelles – par annonce ou Internet, la problématique reste la même – dont on ne peut jamais savoir à l’avance l’issue.

J’aime l’humour et l’autodérision du passeur d’annonce et l’enthousiasme de la collectionneuse qui au final en a marre, à bout.

Je suis à moi seul bien de tes personnages et je cherche par ailleurs, dans chacun d’eux, ce qui est toi, un peu, beaucoup, à la folie, pas du tout.

Bonne semaine à toi.

juillet 13th, 2014 at 10:28

Moi : Merci.
Tu vois juste sur tous ces thèmes qui gravitent autour de ce texte, et qui sont le fait des solitudes urbaines, un mal de plus en plus pernicieux et viscéral qui n’a de cesse de gagner les terrains notamment via les smartphone et les réseaux sociaux qui rapprochent et isolent dans le même temps. J’en profite du coup pour glisser que j »ai choisi les petites annonces par goût pour ce qui est ancien et parce qu’il s’agit de l’interaction minimale : pas de dialogue monosyllabique, pas de photographies, juste une phrase qu’un homme a payé au caractère près. La projection fantasmatique est totale. Qui de l’un ou de l’autre est le plus équilibré ? En recherche d’affection ? Les paris sont lancés.

Question : c’est quoi le concept de transparaître ?

Sexy Scribe : Tout est question de fantasme, lié à quelques mots sur lesquelles on construit une personne qui n’existe pas. C’est encore plus vrai sur internet, quand un échange s’invite, s’invente, écrivant une histoire qui souvent tourne au vinaigre dès lors que, ne voyant pas, on façonne des personnes qui n’existe pas : on se réinvente, tâchant de se vendre avec la verve des premières rencontre, on s’évertue, parfois sans vertu, de paraître sous son plus beau jour, et de l’autre on imagine des choses non encore accessibles, qu’elles soient d’ordre mentales ou physiques, des attitudes que l’on calque sur un visage, un corps bref une multitude de possibles. Cette collision improbable infante une équation souvent erronée. C’est pour cela que je m’interdis depuis quelques années toute errance concernant mes dialogues (peu importe leur finalité : amitié, amour et compagnie) ayant été déçu un nombre incalculable de fois.
Tu peux trouver de moi deux vestiges de ma personnalité dans cette collectionneuse (je collectionnais les annonces de Marabout, collection pour laquelle j’exprime mon intérêt dans certaines fictions), et dans cet homme qui utilise un humour particulier (il fallait voir mes annonces sur les sites de drague, à l’époque, je t’en enverrai une si tu le souhaites).

Bonne semaine et écris-bien !

Je ne m’attendais pas à de tels commentaires sur ce texte. Comme quoi 🙂
Bon dimanche !

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