A l’heure du noir, quand vient la nuit et qu’il se glisse, féroce, exquis, l’amant promis, avec son sourire, son chibre, son corps colossal et ses deux yeux de lucioles qui sondent et scintillent, je pleure entre les cuisses un filet de sang.
Au petit matin, sur le linoléum, je ramasse des insectes morts, la cendre de mes chagrins. Trois biscottes, puis je m’empare de mon cartable, direction l’école, ce capharnaüm : je sais très bien que je recevrais une correction pour mon retard – quelques coups de règle en métal, le châtiment d’une jouvencelle qui fréquente le mâle.
Ce n’est rien sur les doigts qu’une ecchymose : mon corps fébrile est l’étendard de la victoire des hommes : déjà, avant que d’être grande et livrée à la vie, je lui suis sacrifiée : cette prison de silence et de douleur confine à l’éternel et Dieu est sourd à ma prière. Suis-je née pour être la servante de mon beau père ? Les blessures, au fond, sont à l’intérieur.
Parfois, je suis méchante, je n’aime pas les petits garçons, ils n’ont pas un corps d’homme, et rien dans la culotte qu’un tout petit débris, un vers de terre, rien de reluisant. Quant aux petites filles, je les maltraite au gré de mes humeurs : il me plait de tirer sur leurs nattes brodées par des mères aimantes, de déchirer leurs vêtements les plus beaux, d’arracher avec pugnacité leurs boucles d’oreilles graciles, qui pendent comme des larmes à leurs oreilles élégantes – n’est-ce pas là un doux châtiment, celui d’une privilégiée ?
Je reste seule, assise contre le chêne, le regard vide, l’esprit agité. Je sais qu’il me faudra retourner dans ce théâtre d’ombres sanglant qui s’agite chaque nuit, face au silence des murs qui conspire. L’espoir m’invente une amie imaginaire qui goutte mes larmes, écoute mes prières et qui regarde, impassible, ce drame qui me pousse chaque jour vers la vie, cette tragédie.
Texte pondu le 1er aout 2012
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :
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