L’Eternel Célibataire
Proposition de rendez-vous galant : dans un cimetière, à quatre heures du matin, avec un verre de vin rouge. Je ne sais pas si je dois m’y rendre, malgré mon attirance certaine pour l’insolite, comprenez-vous : je ne sais pas escalader.
Et si jamais je rencontrais un pilleur de tombe ? Un nécrophile qui, lunatique, décide finalement qu’il préfère les gens vivants aux cadavres d’ordinaire exquis ? Et si un esprit s’amourachait de moi, pour me suivre à jamais, élire domicile dans mon petit appartement, histoire de me pourrir l’existence ?
C’est bien embêtant, il est tard, je joindrais bien ma meilleure amie pour lui demander conseil, hélas, cette garce est en mode vibreur. Que ferait-elle, si elle était à ma place ? Deux années de célibat, c’est un lourd fardeau… avec mon physique, la nuit est une valeur sûre. Comment s’habillerait-elle ? Il est vrai qu’elle préfère le rose : est-ce vraiment important ? Il a l’air beau garçon.
« C’est marrant cette histoire de cimetière. Allez, chez toi, ou chez moi ?
–
– Les cimetières, c’est pas rassurant la nuit.
–
– Non, je n’ai pas de cave.
–
– Toi non plus ? c’est dommage.
…. »
J’ai eu la chance d’avoir un escabeau pour Noël : pourquoi ne pas l’embarquer et le cacher discrètement derrière un petit bosquet ? Une lampe torche, oui, bonne idée, j’ai ça, ainsi qu’un cellulaire dont le flash peut vous décoller la rétine. Me voilà, je suis armé pour trouver la rangée B. B comme Bisous ? Cool, il doit être romantique.
Il fallait à présent se mettre en quête d’un cimetière : la ville en compte plusieurs. Voilà qui demande réflexion, et j’avoue que je n’ai pas trop envie de réfléchir. De quoi je me plains, nous n’en sommes pas encore à l’époque où les cimetières sont plus nombreux que les bistrots ! Je choisis La Loyasse : parce que j’habite à côté. Etant grassouillet, je me déplace moins vite.
« Quoi, il faut que je ramène le vin aussi ? Et les verres ?
–
– Mais les épiceries de nuit sont fermées !
–
– Tu es dur. (J’ai comme une idée qui vient là, oups, censuré.)
–
– Oui, j’ai une bouteille de champagne. J’arrive.
–
– Dans une heure ?
–
– Je vois, aucun problème, à dans une heure. »
Iriez-vous à un tel rendez-vous, proposé à la dernière minute, après deux heures de discussion virtuelle avec un homme sans doute un peu trop mystérieux ? Ces garçons nébuleux sont ceux qui m’attirent le plus : je les devine vampires, voraces, parfois bien pire. On espère toujours qu’ils nous emmènent quelque part dans un coin sombre, histoire de faire le deuil d’un célibat qui nous colle à la peau. Et le cimetière est un lieu parfait pour ça. Haut les cœurs, j’y vais de ce pas ! Après tout, je n’ai rien à perdre, si ce n’est la vie.
*
Avertissement : l’exposition prolongée au célibat est nocive pour la santé. Elle occasionne de nombreux manques, carences affectives, convulsions individuelles fréquentes, troubles de la vision, malnutrition, addictions aux réseaux d’asociaux, voire une prise de poids certaine chez les plus sédentaires. Certains sujets, que l’on vous conseille tout simplement d’éviter, vont jusqu’à investir dans le Totem chat, suppléant démoniaque des peluches et des doudous gluants qui se sont perdus sur le chemin sinueux de l’enfance.
Texte pondu le 29 décembre 2013
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :
Laissez un commentaire