Terrasse d’un café noir de monde, une blonde qui fume une gitane en attend une autre, boudinée dans une tenue desigual. Cette dernière se penche le moins naturellement du monde, lui fait la bise dans un courant d’air. S’ensuit, mécanique sociale huilée, l’épanchement suivant, accompagné de tapas bien grasses :
« Bonjour toi, tu vas bien ?
– Oui, et toi ? Ca n’a pas l’air d’aller ! T’as la mine toute déconfite !
– Je sais, je ne dors pas beaucoup ces temps-ci !
– Ca se voit, chérie ! Les meilleurs cosmétiques au monde ne peuvent pas cacher une fille malheureuse. Tu voulais me voir ?
– Oui, j’ai besoin d’un conseil, car je ne sais plus du tout quoi faire !
– C’est encore Mathieu ?
– Dans le mille : c’est encore Mathieu ! Je ne sais comment faire pour rompre ma promesse. Je lui ai promis de ne jamais le plaquer par SMS !
– Ah oui quand même ! Pour le coup, tu as mal joué…
– Tu m’étonnes. Je suis désemparée !
– En effet, voilà qui est embêtant ! La rupture par SMS, c’est tellement pratique, rapide et efficace.
– Oui, je l’utilise d’habitude mais visiblement, c’est traumatique. Mathieu en a reçu tellement qu’il m’a fait promettre de ne jamais rompre avec lui de cette manière.
– Pas de chance ! Il va donc falloir que tu lui parles.
– Le problème, c’est que j’ai franchement pas envie d’engager une discussion là-dessus.
– Je te comprends, rien n’est plus pénible qu’une rupture en face à face. Dès que tu dis : « il faut qu’on parle », le mec se démerde pour trouver une ruse. On s’enlise dans des discussions inutiles, pour finalement se faire jeter quelques jours plus tard, victime de son propre piège. C’est humiliant.
– Comme tu dis, c’est exactement pour ça que j’ai pas envie de lui parler.
– Même pour laisser un message sur sa boîte vocale ?
– Ca revient à peu près au même et puis tu sais bien que j’aime pas parler derrière un répondeur.
– Je te comprends, c’est pareil pour moi. En plus, c’est beaucoup moins percutant et plus sournois qu’un SMS. Je n’en reviens pas que tu te prives de ce luxe. Tu le plaques, quelle importance finalement de tenir ta promesse ?
– Tu as raison. Le truc, c’est que je ne veux pas passer pour une menteuse, tu sais, les gens parlent. Je n’ai pas envie qu’on pense que je manque de classe.
– Dur dur, vu sous cet angle… Je sais pas moi… tu pourrais lui envoyer un mail ?
– Un mail ! Il risquerait de ne pas le lire ou de le confondre avec un spam, et puis, pire encore, il pourrait me répondre ! J’ai franchement pas envie d’échanger par informatique sur nos problèmes de couple : inutile d’engendrer de la souffrance inutile. Et puis, je n’ai plus envie de perdre mon temps. Quand je me connecte sur internet, je ne consacre mon temps qu’aux réseaux sociaux. Cela prend beaucoup d’énergie d’espionner tout le monde, surtout sur twitter.
– Dans ce cas, c’est facile. Mathieu est ami avec toi sur facebook, non ?
– Malheureusement. Mais je ne vois pas où tu veux en venir. Lui envoyer un message privé, ça revient strictement au même qu’un email ! Il pourrait me répondre « et bla et bla ». Je veux une rupture franche et rapide. Une rupture incisive d’expert quoi !
– Je vois ! Il y a une autre solution…
– Laquelle ? Ah oui, j’ai trouvé ! C’est bien ça : je l’enlève de mes amis et ensuite silence radio ?
– Je ne pensais pas à ça. C’est trop radical et mesquin. Tu pourrais juste changer le statut et passer de « en couple » à « célibataire ».
– Ca ferait trop jaser ! J’imagine déjà tout le monde commenter : pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe ? C’est direct ce que je demanderai, histoire d’avoir tous les détails sordides. Si c’est pour passer la nuit à répondre à des messages privés, non merci !
– En effet, mauvaise idée. Tu pourrais lui écrire une lettre ? C’est plus dissuasif.
– Une lettre ? Une lettre manuscrite ?
– Oui, une lettre manuscrite.
– Tu n’y penses pas, c’est trop eighties. Et puis ça se conserve, il pourrait la montrer à ses amis. Ca fait genre pièce à conviction. Imagine, si ensuite il se fait tuer, on la trouvera forcément dans son appartement, genre dans un tiroir ou dans une boite à chaussure. Cela me placerait automatiquement sur la liste des suspects. Une lettre, t’imagines pas : je mettrai bien trop de temps à l’écrire, je risquerais de rater le rendez-vous chez ma manucure !
– Voilà qui est embêtant. Là, franchement, je sèche.
– Oui, c’est pas facile. Il va falloir jouer rusé… »
Quelques minutes plus tard, après le passage répété de quelques anges un peu paumés, et d’un serveur tout aussi peu dégourdi :
« Attends, je crois que j’ai une idée… la solution rêvée à ton problème.
– Ah oui ? Raconte !
– Et bien, c’est tout simple et en plus, c’est super original : tu peux le plaquer par post-it ! Tu te lèves bien avant lui, dans la discrétion la plus totale, tu plaques sur la porte ce post-it avec cette révélation inattendue et tu prends tranquille le chemin de la vie, en n’oubliant pas, bien sûr, de jeter les clés de son appart dans sa boîte aux lettres. Et hop, le tour est joué.
– Mais c’est génial !
– Absolument !
– Bravo, Candy, tu es un génie !
– Ca pourrait donner, en trois mots, « je te quitte » sur un post it.
– Tu crois que ça tient sur les mini post-it, tu sais, ceux qui font 38 x 51 mm ? »
– Bien sûr que oui, si tu écris tout petit. Pourquoi ?
– Parce que si j’utilise un post-it plus grand, il pourrait penser qu’il y a encore de l’espoir.
– ???? »
Quelque temps plus tard, les deux ravissantes blondes, étouffées jusqu’aux larmes de potins truculents, se séparent. Cindy, qui s’est rendu sans plus attendre dans une papeterie assez ennuyeuse, hésite quelques heures quant à la couleur idéale pour son post-it. Elle semble, n’ayons pas peur des mots, désemparée, pour ne pas dire totalement larguée : elle n’avait pas jugé utile d’emporter dans son sac déjà saturé d’objets inutiles l’édition poche du dictionnaire des symboles.
Texte écrit le 7 avril 2012.
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :
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trop facile! Cindy est blonde :o)