Billet

Pâtes Arrabiata et Sodomie

 

 
Faire l’amour avec toi, c’est comme communiquer avec les morts : on sait toujours quand ça commence, mais il ne se passe jamais rien. Tant et si bien que je passe ma vie à regarder des concerts de rock : les guitaristes, qui ressemblent désormais à des porn stars, s’invitent dans mes oreilles à grand renfort de décibels et savent me pénétrer par ce fluide liquoreux, un déluge strident qui m’émoustille tout à fait. Mes yeux s’accrochent à ces musculeux bras bandés pour le son ; les médiators me rappellent ces cœurs vifs et maladroits que je dessinais, autrefois, sur mon journal intime à l’effigie des Bisounours, après avoir bu quelques litres de Tang.
 
Cette synesthésie des temps modernes me place hors de notre contexte amoureux (un bien grand mot) pénible depuis notre mariage. Non pas que tu sois infidèle : je sais très bien que tu n’as pas de maîtresse – ce concept, chez toi, se limite à l’école primaire. Ni même n’as-tu de fans pour concevoir pour toi quelques admirations farfelues qui me rendraient furieuses. Mais ton étonnante banalité, autrefois si rassurante, me dégoûte à présent, me répugne tout à fait.
 

Autrefois, repue de fêtes sans queue ni tête,  je cherchais cet homme romantique à vomir qui m’offrirait avec son cœur – et une dévotion proche de l’endoctrinement – les clés d’un royaume de conte de fées. Je n’avais pas réalisé que la fin de ces charmants petits récits symboliques n’est autre qu’un vil commencement : ils eurent beaucoup d’enfants, c’est le prologue d’une autre histoire bien moins fantaisiste, plus barbare, où le mal le dispute au bien si bien qu’ils se confondent tout à fait, pour ne former qu’un : un sacré capharnaüm. La sincérité, la gentillesse, la fidélité, des enfants turbulents et entêtés livrés à la vie avec la régularité d’un métronome (…) ne suffisent pas au bonheur : c’est une indolente euthanasie des facultés, une mort lente et programmée qui en signe le glas. 

Fatiguée d’invoquer des guitaristes fougueux sur mon écran mental et loin d’apprécier les divagations pornographiques de réalisateurs voués à vendre aux hommes insatisfaits un plaisir prémédité, j’ai décidé, ma foi, d’ajouter un gramme de fantaisie à cette vie ennuyeuse. Il en va de même dans la cuisine : lorsqu’elle est un peu fade – n’est-ce pas ? – on y rajoute du sel, du poivre, des herbes, des épices ou bien tout ce qui nous passe par la tête du moment que la chimie donne naissance à un précipité. Dilemme : comment rendre piquant l’homme que l’on aime quand il n’est plus que l’ombre de lui-même, une sorte de mollusque sociétal qui se traîne dans la vie selon un rite bien précis et ne conçoit plus la chambre à coucher que comme dortoir ? Comment lui rendre ses attributs d’autrefois tout en retrouvant le plaisir perdu et pour lui, et pour moi : la réponse est dans l’assiette, bien au-delà de la suggestion de présentation.


Texte écrit le 27 avril 2012.
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :

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juin 11th, 2012 at 3:40

Les affres de la routine, fin lente et programmée. Cela me fait penser à cette phrase de Dostoïevski : « Un être qui s’habitue à tout, voilà, je pense, la meilleure définition qu’on puisse donner de l’homme. »

Sad but true.

juin 11th, 2012 at 3:54

C’est tout à fait ça ! Au fond, serions-nous plus heureux à l’état animal, ou bien avec des déficiences cognitives sévères ? Une mémoire de poisson rouge – 15 seconde seulement – suffirait à redécouvrir sans cesse le plaisir avec l’être « aimé » ou du moins choisi pour tel. Il est trop souvent question de sauver les meubles.

juin 11th, 2012 at 6:46

Une vie d’imbécile heureux, ahh… Ce vieux rêve.

juin 11th, 2012 at 7:43

Certains le vivent très bien héhé

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