Billet

Tomber pour la Femme ou la Sournoise Mécanique de la Mante Religieuse

 

 

N’entre pas ici, enfin fais ce que tu veux. Je t’aurais prévenu, vite fait. Histoire d’avoir bonne conscience, tu vois. C’est toujours un peu la même chose : suffit qu’on mette un homme en garde pour que cet imbécile tombe impuissant dans le panneau, qu’il tombe dans le piège comme un enfant frappé du sceau de l’interdiction. C’est tellement banal, cette volition de l’homme d’aller vers l’interdit, quitte à tomber dans la gueule du loup, toujours béante et affamée.
 
Une fois dans le piège et bien, il est trop tard, tu en seras captif, de ceux qui tombent comme les mouches : inutile, mon cher, de tomber des nues, je n’aurais guère le goût ni la patience de te sauver une fois tes intentions révélées par la Chair, la volonté de souiller un ventre. Cela tombe sous le sens. Mon sadisme, tu le sais, est au-delà du bon sens, mon bon sens bien au-delà des lois :
 
Les veuves noires se paient bien la tête du code civil, qu’il est facile de détourner, pour s’enrichir à loisir sur le dos d’une victime qu’elles font tomber dans le ruisseau avant de les assigner à demeure dans une pierre tombale qu’elle viendront garnir les jours d’ennui profond, avec un sens du décorum proche du mauvais goût le plus douteux.
 
Les Anges de la mort, ces harpies de haute volée, connaissent mieux que personne les armes de la destruction alors qu’on attend d’elles la guérison, une écoeurante dévotion, les germes de la compassion. Les rencontrer,  c’est inexorablement tomber de Charybde en Scylla, troquer la maladie pour la mort certaine : ce n’est point de la vie qui perle de la seringue, mais la cyprine d’une faucheuse camouflée. Et l’on tombe des nues, quand on apprend qu’elles sévissent tranquillement, dans tous ces hôpitaux que tu aurais pu fréquenter un jour – si d’aventure tu venais à t’échapper de cette mort certaine, concoctée avec amour.
 
Le fait est qu’il est si facile, de nos jours, de tuer quelqu’un, comme il est facile d’outrepasser le concept dérisoire de non-assistance à personne en danger. Tout cela, à vrai dire, n’a plus grande importance : tomber dans les pommes, c’est avant tout tomber dans le puits, une façon radicale d’en finir avec l’existence, un pénible fardeau pour celui qui ne sait s’en extraire.  Vois ton sacrifice comme une chance : celle de ne pas voir ton corps vieillir, et le monde avec lui : ce fruit n’a de cesse de pourrir.

Mais venons-en au fait : tu as voulu me séduire, me posséder et pour cela tu signes ton trépas : n’as-tu pas compris ma réticence à ce que tu viennes vers moi, le danger imminent de cette promiscuité, le sens de mes paroles : « je suis une femme dangereuse, tu sais. » Tu t’es dit sans doute que toutes les femmes le sont, menaçantes, avec ces attentes ésotériques d’une vie parfaite,  ces enfants qu’elles menacent de pondre pour vous tenir captif d’une vie étriquée et sans fantaisie N’as-tu pas vu dans mes yeux que je ne fais pas partie de ce clan d’utopiste déglinguée ? Que je ne suis pas de celle qui tombe en pâmoison à la vue d’un éphèbe persuadé que le monde est à ses pieds mais que je décime cette espèce d’homme qui s’acharne à détruire la femme depuis la nuit des temps ?  
 
Que dire si ce n’est que tu tombes à pic pour satisfaire ce manque en moi d’un noir dessein, cette douce revanche qui va me conduire au plaisir de te torturer à loisir, au nom de toutes les femmes. Il me semble lire dans tes yeux que tout ceci semble étrange et déplacé, qu’il ne peut s’agir que d’une blague d’un goût fort douteux, mais, curieusement, tu ne parviens pas à établir une conclusion satisfaisante sur mes intentions : je le vois à tes yeux qui se vident peu à peu de toute substance, au sommeil qui gagne tes traits, cette emprise qu’il a sur la peur, cette paix qui te gagne peu à peu, délicieuse léthargie, adorable narcose.
 
Maintenant que les écailles te tombent enfin des yeux, tu tombes enfin de sommeil, tu t’évanouis dans les bras de Morphée, menaçant de lâcher ce précieux verre, ce nectar vicié concocté avec amour dont il est inutile de te révéler la composition. On ne t’a jamais dit que l’alcool est dangereux pour la santé ? Vois où tes vices te conduisent… toi qui t’effaces lentement du présent pour rejoindre à jamais le passé. Ce qu’il adviendra bientôt entre nous restera, je te le promets, à jamais confidentiel, une anecdote imprimée sur ta carte d’identité, un objet de collection classé avec amour dans un petit coffret artisanal. Quant à ton corps, ou ce qu’il va en rester, je te garantis que personne, pas même un policier, ne tombera dessus.

 

Illustration : Le Stratagème de L’Araignée. Dessiné en 2001. Fusain sur papier.
Texte tissé le 30 mai 2012.
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :

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