La Nuit des Chacals
Trois manants vinrent à moi ce jour soyeux où je rencontrais, avec tant d’émotion, dans une boutique de chaussure galvaudée, la femme de ma vie, revue le soir même, terrible enchantement, lors d’un dîner cocasse, dans un restaurant un peu baroque, la Nef des fous, rue du Bœuf.
Hélant pour son plaisir un taxi, suite aux promesses de se revoir, je me décidai quant à moi de marcher pour profiter de l’air doux des premiers soirs d’été. Je rencontrais, trois fois hélas, ces personnages qui s’incrustent fort souvent dans le paysage urbain et vous font détester jusqu’à la ville la plus belle.
A Bellecour, place des espoirs en l’amour :
« T’aurais pas une cigarette, un euro ou un ticket resto ?
Si tu dis rien, si tu ne donnes rien, je te donne un coup de couteau. »
Soit !
A Ampère, non loin des antiquaires :
« Par ici, mon bon monsieur, entrez dans la lumière et communiez avec Jésus. Nous ne voulons pas votre argent, nous vous voulons, Vous.»
(Et nous vous suivrons jusqu’en enfer pour votre âme, sachez-le.)
(Et nous vous suivrons jusqu’en enfer pour votre âme, sachez-le.)
A Perrache, où le plaisir s’arrache :
« N’auriez-vous pas quelques pièces, s’il vous plaît, pour financer le théâtre de ma vie ?
Et si d’aventure il vous dit, pour trois billets, vous sucer le vit,
Derrière la ruelle, fissa – ou je serai cruelle. »
Bien trop amoureux – et bien trop sensé – pour céder aux avances d’une catin défraîchie, point captivé par ses charmes frelatés, point désireux de trahir l’essence même de mes sentiments fraîchement acquis, comme un bien le plus précieux, je passais outre cette femme, comme on ignore les mendiants, les chasseurs de prosélytes.
Qu’on ne me dise pas que je n’avais pas de cœur :
On retrouva mon corps, troué à l’endroit indiqué, le cadavre, vide, de mon portefeuille, rue du Bluff.
Texte écrit le 22 juin 2012.
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :
Sont-ils tous gris, la nuit, comme les chats?