La Maison en Carton
« Loue T1, dans un immeuble très calme et pas si délabré, loue appartement vétuste, dans un quartier cradingue, mais très vivant. 2 pièces dont une chambre et un coin cuisine: 10 mètres carré, luminosité naturelle assurée par un velux. Peinture refaite à neuf. 700 euros, toutes charges comprises. A saisir, libre le 1er septembre. »
Mon nouveau voisin ? J’espère que ce sera un homme, qu’il sera gay, sourd, muet, asocial, et moche assurément ; qu’il ne soit visité pas plus que son fondement !
Nous habitons, vous savez, une maison en carton, l’un de ces immeubles où tout s’entend absolument : la moindre flatulence, dans un bain, est un tsunami ; le moindre pet une resucée d’Hiroshima. La puissance des coïts, dans ces conditions, est décuplée !
Nos voisins sont nos meilleurs amis, malgré nous : nous vivons avec eux cette colocation imposée qui n’est pas sans rappeler les joutes d’un cocon familial : les batailles incessantes avec les frères et les sœurs, les interdits, les couvre-feux imposés par des parents qui ne comprennent plus que la vie, c’est de vivre.
Les visiteurs du matin frappent déjà dans les murs pour s’assurer de leur épaisseur, qu’il s’agit bien de béton, non de carton, parce qu’il semble que quelque chose respire, derrière, quelque chose ou quelqu’un allez savoir. Ce n’est que moi qui sors péniblement de la nuit. Bande d’impudents, vous m’avez réveillé !
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Je me rappelle avec grande émotion d’un grand moment, dans la maison en carton : le jour où mon ancien voisin est allé faire un séjour en formule tout compris en prison, pour tentative de meurtre sur ma propre personne. Oui, tentative, vous avez bien lu !
C’est qu’en perçant le mur pour accrocher une photographie de son ex-femme, le foret de sa perceuse surannée a malencontreusement traversé la cloison, pour échouer non loin de la mienne : la nasale.
J’en fus traumatisé ! La sécurité sociale s’en souvient encore ! Mais la télévision a refusé de tourner un documentaire sur cette aventure insolite qui a fait la une des gazettes du coin : vos querelles de voisinages ne sont ni pétillantes, ni sordides, ni même intéressantes, m’avait-elle répondu. Il en faut plus pour émerveiller nos spectateurs. Un membre amputé, peut-être ?
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J’ai vécu de grands moments, dans la maison en carton, mais j’aspire désormais au calme, à cette félicité que s’accordent les baroudeurs, les aventuriers, les commerciaux les plus chevronnés. Savez-vous que je suis l’unique rescapé d’une longue liste de locataires qui ne fait que s’accroître, d’année en année, pour cela, j’estime que je mérite le respect et qu’il me revient de droit de choisir mon voisin de même que les vêtements que j’entrepose dans mes placards !
Un jour, peut-être, je partirais, je détruirais la maison en carton : j’y mettrais le feu, j’y poserais une bombe, ou bien la transformerais-je en gruyère, avec une simple perceuse. Cette maison est multiple et bien dangereuse : c’est qu’elle parle toutes les langues et qu’elle recense désormais toute la lie de l’humanité.
Texte : annonce et corolaires rédigés le 1er septembre 2012, quand l’appartement d’à côté menaçait d’avoir un acquéreur.
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :
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