Noces d’Or
Je t’avais promis Vienne en Autriche, nous sommes allé à Vienne en France : pour les fauchés, dans le froid singulier de septembre, à battre le pavé.
Je t’ai semé non loin du lavoir : tu m’énervais férocement, avec cette manie de te mettre devant moi, pour prendre des photos ratées. Tu m’as retrouvé : haine des parcours fléchés. Mon lumbago ne t’aurait-il pas un aidé ?
« Et si l’on prenait le petit train, dis, René. On rencontrerait du beau monde, hein ? »
Nous flânions à Vienne avec la candeur des cacochymes perchés sur le petit train, direction la colline, bouches fermées, dentiers bien en place, les yeux écarquillés. « C’est-il pas merveilleux ? Regarde, un petit cimetière cossu qui monte vers le ciel ! »
Les autres couples se regardaient d’un œil torve et je les observais : comme nous, ils ne se parlaient pas. S’ignorant royalement, ils profitèrent d’une escale face à la vierge noire pour faire plus ample connaissance avec d’autres, comme le font les célibataires. Les moins bavards se contentèrent d’admirer le panorama, de retrouver les monuments historiques éparpillés parmi les toits, histoire, sans doute, de tromper l’ennui.
Au bord du vide, ton regard s’est perdu dans le grand serpent bleu et moi d’un jet brutal et salvateur, j’évacuais l’angoisse et mon incontinence dans un WC turc. Je crois bien que je me suis évanoui dans l’odeur exquise et pernicieuse du souvenir.
Soyons réaliste : si nous sommes parvenus jusqu’aux noces d’or, c’est bien parce que nous passons notre temps à nous éviter et qu’il ne nous viendrait jamais à l’idée – ça non ! – de vouloir enfin nous (re)connaître.
Texte écrit le er septembre 2012.
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :
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