Hôtel Californication
Dans un peu plus de deux heures, adieu l’hôtellerie ! Fini les shifts seuls dans des hôtels de plus de cent chambres, les mensonges à répétition et les courbettes incessantes. C’est avec émotion que je repense à l’haleine et l’humeur désastreuses des clients qui, le matin, par vagues, viennent payer leur chambre exactement au même moment et jettent des regards noirs et glacés parce que vous n’êtes pas Shiva. Ceux qui, engoncés dans une mauvaise foi plus lumineuse que leurs teints ternes, inventent des histoires de l’impossible, histoire d’avoir une ristourne sur le parking, sur le petit déjeuner voire une exonération de la taxe de séjour : « il y avait une araignée au plafond : c’est indigne de ce standing. »
Que dire, enfin, de ces calculs obséquieux concernant le bénéfice exquis, indispensable, sur les malheureuses victimes du surbooking que l’on envoie souvent dans des hôtels plus miteux encore, histoire de grappiller quelques sous et de faire plaisir à une direction d’enfariné, des actionnaires émus des taux d’occupation qui dépassent fort souvent les 100 %, des attardés acculés au gain qui n’ont pas compris que le propre des métiers de l’accueil c’est d’accueillir, d’instaurer une relation de confiance, quelque chose de pérenne : le but non avoué, c’est de gagner l’argent « maintenant tout de suite » quitte à ce que ces portefeuilles ambulants dorment ailleurs, non de faire revenir un client qui, mécontent, se satisfera peut-être d’une éventuelle ristourne ou d’une offre avec un petit déjeuner offert : nous vous invitons à déguster gratuitement nos merveilleuses viennoiseries congelées et nos délicieux jus de fruit pressés en différé.
Comment virer quelqu’un avec diplomatie, peu importe l’heure ? On leur sert sur un plateau le grand mensonge du bug informatique, de la fuite d’eau dantesque, avec un sourire ravissant qui redonne aussitôt confiance – qu’importe la boule au ventre de devoir ainsi mentir, arrondir les angles, ce sont les directives. Et c’est ainsi que va le monde : l’argent est au dessus des gens.
Plus de chasse aux prostituées qui, pilotées par des réseaux qui défient l’imagination, séjournent dans les chambres et louent dans celles-ci leurs utérus aqueux à des hommes affairés, chasse au sorcières qui peut paraître ésotérique car le secteur hôtelier ferme totalement les yeux sur les trafics de drogue qui ont lieu dans leur enceinte : certains louent des chambres pour y vendre de la poudre de perlimpinpin, des herbes pas forcément aromatiques, coupées au goudron. Et personne n’en parle. C’est bien plus discret qu’une tapineuse qui donnerait à un établissement un mauvais genre.
Adieu fange étoilée, monde d’apparence. Pour qui a choisi la voie de l’honnêteté, de la transparence, c’est sans doute l’un des plus mauvais choix de travail qui soit. Autant détrousser des cadavres.
160714
Je ne savais le monde de l’hôtellerie aussi sombre. Comme quoi, les ténèbres sont partout.