Un Monstre nommé Désir
Ca roucoule au zagross. Le bonheur irradie : tes cheveux gras, les frites que tu trempes avec délectation dans la mayonnaise ruisselante, rayonnent en phase avec ton sourire décérébré face à cet homme parfait sorti des limbes exsangues du web. Tu penses : c’est une belle rencontre !
L’homme est rassurant, sûr de lui, travaille dans les assurances, se vêt avec un goût sûr : une pointe de plomb et un gramme d’azur. Son sourire a l’éclat du zirconium implanté dans sa montre dernier cri. Sa virilité ? Elle existe, tu la ressens, tu la vois, elle est palpable : elle se mesure au modèle de voiture, à la taille de ses chaussures impeccablement lustrées, au galbe prétentieux de son entrecuisse.
Cette perfection n’est qu’à peine ébranlée par un parasitage ardent, défaillance que comble sa beauté solaire, son sourire émaillé de diamants. Tu n’y vois que du feu : ton cœur palpite. Ardentes sont les flammes de la passion, qu’importe les frasques du langage quand c’est le corps qui crie ? Oui, cet homme parfait a su garder de la teucy le langage franc et épuré !
Et cependant, sa galanterie est un poème pour qui n’a guère l’habitude à un gramme d’attention, une féerie absolue, un avant-goût de paradis : serait-ce le bonheur qui frappe enfin à ta porte, toi, la petite cendrillon des faubourgs mal famés ? Fini les facteurs boutonneux n’apportant que factures exponentielles, recommandés angoissants, les démarcheurs obséquieux et autres témoins endimanchés de religions factices.
La portière de voiture, il l’ouvre à peine l’idée te frôle, t’appelant sa princesse, cette princesse qu’il a attendue pendant trente-quatre ans. Sa Mercédès flambant neuve est un carrosse flamboyant. Minuit résonne et l’enchantement ne se dissipe pas : il est toujours là, à tes côtés, et te regarde avec les yeux de l’amour. Pas l’ombre d’un mauvais œil ! Et si tu l’invitais dans ton appartement ? Tu t’imagines déjà les yeux rivés sur la Rhône, lové dans ses bras : l’infini dans l’écrin délicieux de ton balcon exigu.
Cédant à l’appel de la télévision sur ses conseils avisés, tu penses brownie, par amour du chocogras, lui a cette envie irrépressible de nem qu’il évoque à demi-mot. Au fil des câlins, le film se résume dans l’ellipse, conclu par une pirouette au sein des drapés. Dans ta vulve, la percée insolite d’une navette étrange t’ébranle sous de violentes secousses : l’abstraction se lit sur ton visage, la tangente du chaos. Voilà, le sort est brisé : cet amour fragile vole en éclat dans les larmes spumescentes de Galatée.
S’en allant, balançant l’exquise promesse d’un rendez-vous comme un juron et claquant une bise sonore, tu le regardes se fondre dans cette nuit urbaine au goût de ténèbres, rejoignant sa voiture dont il saisit la poignée avec un geste vif, agacé. Pas une seule fois il se retourne pour voir si toi, de ton balcon ouvert sur l’infini de tes espérances, tu le suis du regard : il a pénétré ta nuit sans que tu le perces au grand jour. Malgré cet amour stupide qui naît en toi, Kamel rejoint, par des portes dérobées, des galaxies obscures et autres constellations crémeuses, ourlées dans les trous béants de toutes ses femmes qui espèrent, vibrant sous la coupe intense et térébrante de désirs féroces.
Texte pondu le 17 septembre 2014
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